Archive pour mars 2019

Le bug humain, Sébastien Bolher

Dimanche 31 mars 2019

 Sébastien Bohler docteur en neuroscience et rédacteur en chef du magazine Cerveau et psycho apporte sur la grande question du devenir contemporain un éclairage nouveau, dérangeant et original. Pour lui, le premier coupable à incriminer n’est pas l’avidité des hommes ou leur supposée méchanceté mais bien, de manière plus banalement physiologique, la constitution même de notre cerveau lui-même.

Au cœur de notre cerveau, un petit organe appelé striatum régit depuis l’apparition de l’espèce nos comportements.  Il a habitué le cerveau humain à poursuivre 5 objectifs qui ont pour but la survie de l’espèce : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, étendre son territoire, s’imposer face à autrui.On peut voir un lien ici avec la pyramide de Maslow.

Le problème est que le striatum est aux commandes d’un cerveau touours plus performant (l’homme s‘est bien imposé comme le mammifère dominant de la planète) et  réclame toujours plus de récompenses pour son action. Tel un drogué, il ne peut discipliner sa tendance à l’excès. À aucun moment, il ne cherche à se limiter.
Hier notre cerveau était notre allié, il nous a fait triompher de la nature. Aujourd’hui il est en passe de devenir notre pire ennemi.

Cet organe le cerveau est constitué d’environ cent millairds de neurones et d’autant de cellules gliales qui les entourent, les nourissent et les protègent. Il produit la conscience. La conscience nait dans le cortex, siège de la raison et des fonctions exécutives, (l’esprit de planification, d’organisation, d’abstraction ) et même la mémoire.

Et tout ça est le résultat d’échanges électrochimiques . Et la conscience dans tout ça ? Comment se distingue-t-elle du raisonnement issu de ces processus mentaux, de notre mental ?

Un neurone se compose d’un corps d’aspect sphérique contenant notamment un noyau où siège l’information génétique sous forme d’ADN, et de deux types de filaments : des antennes postérieures, ramifiées et touffues, qui captent les informations nerveuses venant des autres neurones, et une antenne projetée vers l’avant qui ressemble plutôt à un câble immense, et qu’on appelle axone. C’est cet axone qui s’étend très loin vers d’autres régions cérébrales.

Grâce à leurs longs axones, les neurones de l’aire tegmentale se connectent à trois autres zones profondes du cerveau : le noyau accumbens, le noyau caudé et le putamen, qui forment ensemble le striatum

“Si nous voulions agir pour autre chose que la satisfaction de nos cinq grands renforceurs primaires, il faudrait inventer un moyen de museler l’activité de notre striatum au moyen des efforts conscients de notre volonté et de notre raison, logées dans notre cortex”

Si nous voulions agir pour autre chose que la satisfaction de nos cinq grands renforceurs primaires, il faudrait inventer un moyen de museler l’activité de notre striatum au moyen des efforts conscients de notre volonté et de notre raison, logées dans notre cortex. Certains s’y sont essayés. Bien des philosophes, de Socrate à Lucrèce ou Descartes, des religions et des courants spirituels, s’y sont efforcés, en prônant la tempérance, voire la contrition, parfois même la pénitence – sans effet

Le système cérébral qui nous permet de choisir entre une gratification immédiate et un acte différé est donc plastique ! Il n’est pas figé une fois pour toutes. Les connexions entre neurones sont le siège d’une intense activité qui marie les gènes, les protéines de structure et celles qui régulent le passage des ions chargés électriquement à travers les membranes des neurones, créant les courants électriques qui sont à la base de l’activité nerveuse.

Les connexions entre le cortex frontal et le striatum, si déterminantes pour permettre au futur de prendre l’ascendant sur le présent, sont alors très plastiques. Elles ont tendance à se renforcer si on les entraîne, et à s’étioler si on ne les sollicite pas assez.

Or, s’il existe probablement des différences de nature génétique entre les personnes capables de penser à l’avenir lointain et celles qui cèdent à l’attrait du « tout, tout de suite », ce sont avant tout des éléments liés à l’éducation et à l’environnement socio-culturel, qui s’avèrent déterminants. Le cortex frontal subit une longue maturation qui dure tout le temps de l’enfance et de l’adolescence

Chez un enfant de 6 ans, cette connexion, appelée faisceau frontostriatal, est encore immature ; elle ne se renforcera que si ses parents et éducateurs l’encouragent et l’aident à ne pas céder à ses penchants immédiats. 

L’apprentissage par conditionnement pour freiner le striatum.

La valorisation sociale, qui est un très puissant renforceur primaire dans l’espèce humaine.

Car ce que nous révèle ce conditionnement, c’est que nous pouvons apprendre à valoriser d’autres comportements que la recherche de nourriture, de sexe, de farniente ou de pouvoir. Ces renforceurs primaires sont actuellement les rois du monde parce que l’industrie parvient plus facilement à les exploiter et à les monnayer. Mais ce n’est pas la seule voie traçable. La générosité féminine n’est qu’un exemple, mais elle nous montre que le striatum peut apprendre à aimer bien d’autres choses, et que nos buts peuvent être redéfinis par un facteur déterminant qui est la norme sociale.

Un jour, peut-être, le nec plus ultra du snobisme sera d’être sobre et respectueux de l’environnement, et non de posséder un 4  ×  4 sur­équipé. Dans cette hypothèse, dès l’instant où le statut social sera associé aux comportements respectueux de la planète, la partie sera gagnée. Le striatum sera devenu le moteur de la préservation, et non de la destruction.

Conscience, réveille toi, on retombe sur l’idée de prendre conscience de l’instant présent.

Il existe des techniques éprouvées pour cela, qui sont globalement regroupées dans le courant des techniques de méditation de pleine conscience. La méditation de pleine conscience est une discipline du corps et de l’esprit, dépourvue de toute connotation religieuse dans sa version laïque (ou associée au bouddhisme dans ses versions traditionnelles), qui consiste à développer la maîtrise de son attention dans un premier temps, pour ensuite affiner sa capacité de prendre conscience de tout ce qui se passe autour de nous et en nous.

La plupart de nos actes sont entrepris avec un très faible niveau de conscience. Lorsque nous vaquons à des tâches ménagères, prenons le chemin du travail, faisons du vélo ou du footing, quand nous nous brossons les dents ou sommes à table, nous agissons le plus souvent de manière machinale. Même lorsque nous nous livrons à des activités intellectuelles, il serait faux d’affirmer que nous le faisons en toute conscience.

Nourrir son striatum avec des connaissances et plus particulièrement en développant nos connaissances sur notre propre fonctionnement cognitif, c’est peut être ce qui élèvera notre conscience pour adopter le comportement adapté à la survie de notre espèce et donc de répondre à l’objectif majeure de notre striatum. La boucle est bouclée.